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August Strindberg
« Le fils de la servante I, Histoire de l’évolution d’une âme (1849-1867) », in « Œuvre autobiographique I »

« Le fils de la servante I, Histoire de l’évolution d’une âme (1849-1867) », in « Œuvre autobiographique I »

Les écrits autobiographiques d’August Strindberg (1849-1912) et les milliers de lettres de sa correspondance dressent le portrait d’un écrivain pour qui tous les cadres de la société sont trop étroits et doivent céder sous la pression du monstrueux instinct de vie qui gronde en lui. Pour un homme de ce tonneau-là, la civilisation n’offre aucune pierre où reposer sa tête et ne produit jamais qu’épines et ronces. De là ses perpétuelles errances à travers l’Europe vingt années durant, sans pouvoir nulle part se fixer, « émigrant à la recherche du travail dans la grande Ville, la foire et l’usine des cerveaux combattants ».Entre deux tempêtes, la vie de Strindberg connaît de rares moments d’accalmie dans l’archipel de Stockholm qu’il découvre à l’âge adulte lorsque, encore étudiant, il y passe ses vacances. Strindberg retourne dans l’archipel à plusieurs reprises, célibataire puis jeune père de famille. Il y partage son temps entre l’écriture, la peinture et les longues marches dans les forêts pour rassembler ses pensées, « quittant la grand-route pour parcourir des régions sauvages » où il se sent « comme un petit garçon en train de sécher l’école, comme un prisonnier évadé de la prison qu’est la civilisation ». Quand son premier mariage tourne au vinaigre et que le dégoût des villes et de la société devient insupportable, l’archipel demeure son dernier havre.
Dans son humble cabane d’écriture au bord de la vaste mer, Strindberg n’est alors pas sans rappeler Thoreau, qui quelques décennies plus tôt avait aussi tourné le dos à la civilisation pour s’installer au bord de l’étang de Walden. C’est le même refus de la société industrielle, le même constat de ses effets désastreux sur l’âme humaine, le même pressentiment de l’impasse où nécessairement elle conduit.S’il cesse par la suite de s’y rendre, Strindberg gardera toujours en lui la marque de l’archipel qui l’a « déshabillé de son vêtement d’homme civilisé » et rendu à la nature où désormais il voit « avec une clairvoyance de sauvage » et « flaire comme un Peau-Rouge ! ». C’est l’expérience de l’archipel qui lui fera, comme Rousseau, accuser l’art de son temps d’aveugler l’homme plus que de l’éclairer : « Ah, la maudite esthétique ! La beauté, oui, elle existe, et je m’incline devant elle, moi aussi – mais la NATURE ! Vous ne la voyez pas, car votre vue est altérée par les œuvres d’art, pauvres simulacres fabriqués par des gens vaniteux ! »L’art « naturel » prôné par Strindberg n’aura d’autre mission que de ramener l’homme social à la nature, en le débarrassant du vernis de la civilisation. Hors de toute idéalisation, l’artiste devra voir « face à face l’âme de la nature » et se laisser saisir par ses mystères. Il lui faudra gagner le pays des merveilles pour imiter « la manière de créer de la nature ».

Édition
Mercure de France, Paris, 1990
Proposé en
mars 2017