Ladislav Klíma
La marche du serpent aveugle vers la vérité
Il faudrait, comme le souhaitait Léon Chestov, faire une histoire des laissé·es-pour-compte de la philosophie. Y figurerait en bonne place le philosophe autodidacte Ladislav Klíma. Né en Bohème occidentale en 1878, le jeune Klíma est expulsé de tous les établissements d’enseignement de l’Empire autrichien pour avoir, dans une dissertation, atteint à l’honneur de Ferdinand Ier de Habsbourg. D’abord rentier, puis ruiné, il exerce alors plusieurs métiers : conducteur de machine à vapeur, gardien d’une usine hors service… En 1917, il fonde avec son ami Franz Böhler une usine de fabrication d’ersatz de tabac dont il sera pendant un an l’unique employé. L’usine ne peut redresser la situation financière de Klíma, mais elle est pour beaucoup dans la « soûlographie permanente » qui est l’occupation principale des deux compères. Klíma écrit à cette époque un roman – en allemand pour que Böhler puisse être de la fête –, La marche du serpent aveugle vers la vérité.
Klíma avait déjà auparavant « taquiné la muse ». Entre 1906 et 1909, alors qu’il mène une vie qui se veut « une déviation systématique par rapport à toute norme humaine », il passe deux ans et demi à n’écrire que de la littérature fantastique. Il en résulte une dizaine de romans, deux drames, une trentaine de contes et nouvelles, en grande partie brûlé·es lors des autodafés qu’il réalisait de ses œuvres.De cette période date la première version du seul roman abouti qu’il nous reste, Les souffrances du prince Sternenhoch (Éd. de la Différence, 2012, catalogue), qui ne sera publié qu’en 1928, quelques semaines après la mort de Klíma.De son vivant, Klíma n’aura publié sous son nom que des recueils d’aphorismes, kaléidoscopes offrant quelques aperçus théoriques de sa philosophie, mais qui la voilent en l’exprimant. En philosophie comme en littérature, Klíma n’écrit pas pour se faire comprendre mais, dira-t-il, pour se « désennuyer », parce que « c’est très bon pour la santé » et que cela peut « sauver la vie ou du moins, la raison ». En cela, les œuvres philosophiques de Klíma dont Métaphysiques, Traités et diktats (Éd. de la Différence, 1990) ne sont pas différentes de ses œuvres littéraires : elles font état de la même jubilation d’écrivain.
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