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Rencontre littéraire avec Patrick Chamoiseau « Le conteur, la nuit et le panier »

Patrick Chamoiseau, né en 1953 à Fort-de-France, en Martinique, est un écrivain majeur de la Caraïbe dont l’œuvre, ample, foisonnante, est composée d’essais, de récits, de contes, de pièces de théâtre et de romans. Grandissant entre le créole parlé à la maison et le français enseigné à l’école, il raconte dans la trilogie « Une enfance créole »(Gallimard, 1990, 1994, 2005) les origines de sa vocation littéraire. « Texaco » (Gallimard, 1992), chronique de cent cinquante ans d’histoire de la Martinique, lui vaut le Prix Goncourt et une reconnaissance internationale. Parmi ses ouvrages les plus récents comptent, au Seuil, « La matière de l’absence » (2016), « Frères migrants » (2017) et « Contes des sages créoles » (2018). Ses écrits narratifs comme théoriques sont habités par une dialectique du poétique et du politique où ne cesse de se renouveler un puissant imaginaire du monde. De ses indignations devant les rapports de domination et la barbarie, partagées notamment avec son ami Édouard Glissant, sont nés de nombreux manifestes, réunis cette année en un volume à La Découverte. Son dernier livre, « Le conteur, la nuit et le panier » (Seuil, 2021), remonte au XVIIe siècle, à l’époque des plantations esclavagistes, pour s’attacher à la figure du conteur créole, celui qui, selon la tradition martiniquaise, prenait la parole lors des veillées mortuaires. Dans le cercle des flambeaux, le « vieux maître-de-la-Parole » racontait toute la nuit durant, enclenchant une métamorphose, non seulement de son statut individuel d’esclave, mais de tout l’ordre social : l’autorité du colonisateur, la soumission et l’oppression étaient engloutis, le temps de cette « la-ronde », pour laisser libre cours au verbe créateur, tout-puissant. En partant de cette performance ancestrale qui met en place une autre vision du monde, Patrick Chamoiseau déplie une réflexion sur l’acte d’écriture, qu’elle soit orale, dansée ou livresque, et sur les pouvoirs mystérieux de la création. « Qu’est-ce que la littérature ? » interroge l’auteur ; bousculer les normes établies, se mettre en devenir et faire surgir la beauté de l’ombre comme une révolution sont les pistes qu’il explore avec conviction. Car, si au colonialisme d’hier ont succédé d’autres systèmes de déshumanisation et de domination tel le néolibéralisme, le geste créateur et la production de langages ont toujours la capacité de leur porter atteinte et de conduire à une nouvelle éthique de la relation. Une mondialité plutôt qu’une mondialisation.

Rencontre en français Modérée par Jérôme David, professeur ordinaire de littérature française et de didactique des littératures à l’Université de Genève, spécialiste de l’histoire de la littérature mondiale

Fondation Jan Michalski, le 14 octobre 2021